CHRONIQUE. Pour l’écrivain Tahar Ben Jelloun, le communautarisme est une expression de l’échec des politiques de la France à l’égard de la population musulmane.

Par Tahar Ben Jelloun    Publié le 19/02/2020 à 11:49 | Le Point.fr

Tahar Ben Jelloun – La lutte contre le communautarisme : vaste programme !

Si le communautarisme est le fait qu’une communauté puisse se prévaloir de ses spécificités au sein d’un ensemble social plus vaste, il est inutile de pousser des cris et surtout de penser que la République serait menacée dans ses principes et ses valeurs. Mais, si elle continue, comme a dit le chef de l’État, de « démissionner » et de laisser faire ceux qui ont d’autres intérêts, il est évident que « le séparatisme » a de beaux jours devant lui.

« La République est un bloc », a déclaré Emmanuel Macron, mais comment s’ouvrir aux autres et les familiariser avec ses lois, ses règles et ses valeurs ? Au lieu de parler franchement des dérives de l’islam confondu de plus en plus avec une identité, laquelle rejette certains aspects de ce pays, on tourne autour du sujet sans vraiment crever l’abcès. Que les Maghrébins, français ou non, constituent en France une communauté qui a tendance au repli et à la méfiance, ce n’est un secret pour personne.

On intègre celui qui est étranger, pas celui qui est né dans le pays

Des politiques parlent de l’échec d’intégration. Déjà, là, il y a une erreur. On intègre celui qui est étranger, pas celui qui est né dans le pays. Il faudrait parler de « promotion » dans le sens d’une normalisation qui chasserait tous les préjugés. Un enfant d’immigrés né en France, étant allé à l’école française, n’est pas un immigré, c’est-à-dire un étranger, c’est un citoyen français qui a autant besoin de reconnaissance que n’importe quel citoyen dit de souche. Le jour où on cessera de confondre le père venu d’ailleurs et le fils né ici, on aura fait un grand pas pour la normalisation.

Considérer un fils d’immigrés comme un citoyen français à part entière est le début d’une clarification. Or on condamne le communautarisme sans se poser les questions gênantes qui révèlent qu’une communauté, quelle qu’elle soit, ne choisit pas de gaieté de cœur le repli et la culture de ses spécificités. Si des hommes et des femmes éprouvent le besoin de constituer un noyau social qui les caractérise, les identifie et aussi les rassure et les protège, c’est que rien dans la politique de ce pays n’a réellement été fait pour prévenir cette dérive et ce refuge, sorte d’exil. Des membres de cette communauté ne cessent de se plaindre de la mainmise de trafiquants complices de certains salafistes sur des quartiers entiers. Des parents protestent, car la mafia et l’argent facile leur volent leurs enfants.

Macron souhaite qu’il y ait « une volonté de rejoindre la communauté nationale avec ses règles, ses lois, mais aussi sa civilité, sans nier la part de l’altérité de l’autre ». Des mots ! Des mots ! Avant que ce voyage n’ait lieu, ne faudrait-il pas commencer par mieux se connaître, tout en faisant le ménage nécessaire auprès des États qui financent un islam militant et antirépublicain, faire le ménage aussi dans les cités gangrenées par la mafia, cités où justement la République a démissionné ?

Le rôle de l’école

Tout commence à l’école. Expliquer aux arrivants les lois et les règles du pays, leur apprendre quels sont leurs droits et aussi leurs devoirs, leur rappeler que la France est un pays laïque. Or cette pédagogie n’a jamais existé. Je me souviens d’un séjour en Suède où des immigrés étaient initiés au mode de vie nordique, avec un apprentissage de la langue suédoise. Cela, me diriez-vous, n’a pas empêché des émeutes dans la petite ville de Husby en mai 2013. J’ai visité Rinkeby, banlieue proche de Husby. J’y ai rencontré des Marocains, dont certains étaient passés par la France, heureux de la méthode de l’accueil suédois et reconnaissants envers ce pays qui les a si bien accueillis, même s’il y eut quelques problèmes.

Se connaître, c’est se respecter. Or, tant que le regard n’aura pas changé, que ce soit celui de l’immigré sur le Français ou celui du Français sur l’immigré, aucune harmonie dans le vivre-ensemble ne sera possible. Cela aussi relève d’une pédagogie qui n’a jamais été mise en pratique. Le communautarisme est l’échec des politiques de la France à l’égard de cette population où l’islamisme a pu s’épanouir et se développer en silence et en profondeur. C’est dans les prisons, au début des années 1980, que le radicalisme a commencé, prison peuplée souvent en majorité de Français d’origine maghrébine.

Méconnaissance de la laïcité

Les musulmans vivant en France connaissent peu ou mal le principe de laïcité. Ils viennent de pays où la laïcité est confondue avec l’athéisme. Aucun pays arabe et musulman n’accepte la séparation de la mosquée de l’État. La Turquie de Kemal Atatürk a été initiée à la laïcité au début des années 1920. Mais Erdogan a mis un frein à cette tendance, imposant de plus en plus l’islamisme des Frères musulmans dans ce grand pays et au-delà. Toute sa politique étrangère actuelle est focalisée sur l’expansion de la doctrine des Frères musulmans.

La condition de la femme reste le point focal du repli de la communauté musulmane en France. Le communautarisme est déjà là. Allez faire une visite dans le 18e arrondissement de Paris, Barbès et la Goutte-d’Or sont devenus des villages africains, avec leurs commerces informels, leurs mendiants, leurs charlatans, leurs voyantes, etc.

Quand on a été rejeté, exclu, il est naturel de se tourner vers les origines. Rien ne sert de dénoncer le communautarisme si, par ailleurs, on ne fait rien contre le désir de repli et les causes de ce repli. Le travail contre « le séparatisme » concerne aussi bien la République que ceux qui ne se sentent pas ou plus concernés par ses valeurs et ses principes. Un travail aussi bien culturel que politique. Vaste programme !

Mis en ligne le 24 févr. 2020