Ironiser sur le fait que la France encourage le port du masque et pénalise celui de la burqa, c’est ne pas tenir compte de différences fondamentales, soulignent, dans une tribune au « Monde », soixante-dix universitaires français, suisses, belges et canadiens.
Nous osons penser que le “Washington Post” se serait abstenu d’une telle comparaison quelques jours plus tard, alors que le 25 Mai, George Floy est décédé lors de son interpellation par la police à Minneapolis (Etats-Unis), dans des conditions dont le caractère raciste ne fait guère de doutes …
La commission Laïcité de l’Université de Lille nous adresse le communiqué ci-dessous réagissant ainsi à l’article du “Washington Post” lui-même objet d’une tribune signée de 70 signataires membres de Vigilance Universités (Collectif d’universitaires pour la laïcité, contre le racisme & l’antisémitisme, contre le racialisme & le communautarisme.)

Masques sanitaires et/ou burquas : comparaison saugrenue !

Nous espérons que vos proches et vous-mêmes avez gardé la santé et le moral tout au long de la période compliquée que nous venons de traverser.

Nous sommes en tout cas persuadés qu’elle n’a pas entamé vos convictions laïques, et c’est pourquoi nous avons envie de partager avec vous la tribune que “Vigilance Universités”, un collectif d’universitaires regroupés autour de la veille pour la défense de la laïcité, contre le racisme et l’antisémitisme, contre le racialisme et le communautarisme, vient de faire paraître dans Le Monde.

Ce texte, intitulé “Le masque porté indifféremment par les hommes et les femmes ne constitue pas un signe de discrimination sexiste“, et que vous trouverez ci-dessous, a été rédigé en réponse à un article du quotidien “Le Monde” qui reprenait celui du “Washington Post”, titré “France mandates masks to control the coronavirus. Burqas remain banned” [NDLR, traduction : La France exige des masques pour contrôler le coronavirus. Les burqas restent interdites], et accessible [NDLR : en anglais] à partir de ce lien : https://www.washingtonpost.com/world/europe/france-face-masks-coronavirus/2020/05/09/6fbd50fc-8ae6-11ea-80df-d24b35a568ae_story.html

Si la première réaction, à la lecture de cet article de la presse américaine, est sans doute pour nombre d’entre nous la sidération (“mais comment peut-on, sous couvert d’ironie, procéder à un tel rapprochement ?”), force est bien de constater que de tels propos, dont on pourrait juste espérer qu’ils fassent éclater leur lecteur d’un rire sain et communicatif, trouvent au contraire des échos, sont relayés, diffusés… C’est pourquoi nous pensons utile de diffuser, à notre tour, l’argumentaire bâti dans cette tribune, dont nous pensons qu’il peut être utile pour contrer ce type de propagande anti-laïque et anti-républicaine.

Nous vous en souhaitons une bonne lecture…

… tout comme nous avons hâte d’échanger à nouveau avec vous, à l’occasion d’une prochaine manifestation à laquelle nous aurons le plaisir de vous inviter dès que possible.
D’ici là, et selon la formule désormais consacrée, prenez soin de vous !

Laïquement vôtres,

Les membres de la Commission Laïcité du Snesup de l’Université de Lille.


 Article du quotidien “LE MONDE” publié le 28 mai 2020 à 15h46, mis à jour à 16h55.

IDÉES • CORONAVIRUS ET PANDÉMIE DE COVID-19

« Le masque porté indifféremment par les hommes et les femmes ne constitue pas un signe de discrimination sexiste »

TRIBUNE (Collectif)

Les comparaisons les plus saugrenues entre interdiction de la burqa dans les lieux publics et obligation du port du masque sanitaire contre le Covid-19 fleurissent ces jours-ci, et jusque dans les colonnes du Monde, qui a publié dans son édition du 19 mai une tribune d’une juriste française, Stéphanie Henriette-Vauchez, qui, après de longs développements sur la polysémie et la labilité des signes, évoque en conclusion « les dimensions excluantes et discriminantes de certaines itérations contemporaines de la laïcité ».

Voilà qui fait écho à un récent article du Washington Post du 10 mai stigmatisant le soi-disant racisme antimusulman que trahirait l’interdiction de la burqa (« France mandates masks to control the coronavirus. Burqas remain banned »). Mais ironiser sur le fait que la France encourage le port du masque alors qu’elle pénalise le port de la burqa, c’est ne pas tenir compte de différences fondamentales, qui rendent une telle analogie non pertinente, pour ne pas dire extravagante.

 

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Tout d’abord, en effet, le masque sanitaire est porté indifféremment par les hommes et les femmes : il ne constitue donc pas un signe de discrimination sexiste. Au contraire, la burqa est préconisée exclusivement pour les femmes : elle est un signe sexiste.

Aucun message politique.

Deuxièmement, le port du masque sanitaire a vocation à être purement temporaire. Il n’est préconisé que de façon instrumentale, le temps que la pandémie recule. Il n’est obligatoire que dans certains lieux publics (notamment les transports et certains commerces,) et non partout et tout le temps. Au contraire, le port de la burqa est une fin en soi, qui s’impose en toutes circonstances.

Troisièmement, le port du masque sanitaire ne véhicule aucun message politique, ne promeut aucune idéologie ni aucune religion, et n’implique aucun jugement sur l’infériorité d’une catégorie par rapport à une autre. Au contraire, le port de la burqa vise à promouvoir une forme extrémiste et non représentative de la religion musulmane, en identifiant la bonne musulmane à celle qui l’adopte.

Lire aussi | Edgar Morin : « Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien »

Quatrièmement, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le port du masque est un pas fait à la rencontre de l’autre : porter un masque c’est protéger les autres, tous les autres, que l’on peut croiser au hasard des rues. Le masque sanitaire est un signe de sociabilité et de solidarité avec autrui, d’appartenance à notre commune humanité.

Au contraire, porter la burqa, c’est à la fois se soustraire au regard d’autrui et affirmer son affiliation à un lien exclusif au seul groupe d’appartenance idéologique, excluant de fait toutes les autres personnes.

Persécutions

Cinquièmement enfin, des femmes demandent l’asile en France parce que, pour avoir refusé de porter la burqa, elles sont victimes de persécutions, voire menacées de mort. Est-ce le cas du masque contre les gouttelettes ?

Négliger ces différences revient à vouloir comparer ce qui ne peut l’être en s’en tenant à l’apparence, en l’occurrence l’apparence de deux visages cachés par deux morceaux de tissu. Mais les apparences sont faites, justement, pour être dépassées, et les phénomènes sociaux sont faits pour être analysés, du moins par quiconque prétend mener un travail de réflexion.

Il est regrettable que ceux qui amalgament burqa et masque sanitaire n’aient pas jugé utile de s’informer davantage auprès des nombreux chercheurs et intellectuels qui, en France, aux États-Unis et ailleurs, ont depuis longtemps mené des recherches et publié articles et ouvrages sur ces questions.

Nous appartenons à un collectif d’universitaire et chercheurs francophones, Vigilance Universités, au sein duquel se trouvent beaucoup de ces spécialistes : nous sommes à la disposition de ceux qui désireraient s’informer davantage sur les fondements de la politique française en matière de masques sanitaires, tout comme de signes religieux. Ceux qui prônent la tolérance à l’intégrisme islamique discriminant pourraient ainsi s’ouvrir à la compréhension de l’universalisme laïque et antiraciste tel que le défendent les institutions de notre pays.

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Premiers signataires : Joëlle Allouche, sociologue du judaïsme (CNRS) ; Evelyne Buissière, philosophe (classe préparatoire, Grenoble) ; Richard Bénatouil, chargé de cours organisation et GRH (université de Nantes) ; Jacqueline Costa-Lascoux, juriste et psychosociologue (CNRS Sciences Po) ; Danielle Delmaire, historienne contemporanéiste (université de Lille) ; Gilles Denis, historien de la biologie (université de Lille) ; Michel Dreyfus, historien des mouvements sociaux (université Paris-I) ; Nathalie Heinich, sociologue (CNRS-EHESS) ; Martine Hennard Dutheil, angliciste et comparatiste (université de Lausanne) ; Liliane Kandel, sociologue (université Paris-VII-Denis-Diderot) ; Joël Kotek, politologue et historien (Université libre de Bruxelles) ; Laurent Loty, historien des idées scientifiques et politiques (CNRS) ; Andrew William Quinn, philosophe éthologue des systèmes sociaux (université Sherbrooke et université de Laval, Québec, Canada). Membres de Vigilance Universités (Réseau universitaire de veille contre le racisme et l’antisémitisme, contre le racialisme et le communautarisme, et pour la défense de laïcité).

Liste complète : https://vigilanceuniversites.files.wordpress.com/2020/05/signataires-tribuneburqa-et-masque-sanitaire-2.pdf

Mis en ligne le 02 Juin 2020 19:00
Mise à jour 03 Juin 2020 17:15