La fondatrice de Docndoc, médecin radiologue, œuvre dans le premier centre parisien référent COVID-19. Des premiers murmures concernant l’arrivée du virus en France à la crise sanitaire majeure à laquelle font face tous les professionnels de santé, elle raconte l’envers du décor, celui qu’on ne voit pas à la télévision.

Chroniques d’une pandémie expliquée à cœur ouvert. (Vous retrouverez cette chronique ICI et l’intégralité des publications sur docndoc.fr )

Chroniques : COVID-19, on t’aura ! – Janvier 2020

Le coronavirus, un mal vu de loin

Dernière semaine de janvier 2020

En arrivant à l’hôpital, tout le monde ne parle que du COVID (qu’on appelle encore « coronavirus »).
En fait, on en parle pour parler, se raconter les infos. Personne n’y a été confronté, sauf les chinois.
Une espèce de nuage est en train d’arriver, sans que personne n’évalue la gravité ni ne sache que faire. Nous en sommes au stade de discussion de couloir.
Nous recevons des newsletters par l’intranet des hôpitaux. La direction de l’hôpital est rassurante, nous expliquant que c’est une grippe.
On en profite tous pour se dire qu’heureusement nous avons été vaccinés cette année contre la grippe… comme toutes les autres années d’ailleurs. Nous portons fièrement le badge « Je suis vacciné » comme un trophée. Ce qui entraîne régulièrement un mini débat sur l’intérêt de la vaccination.

Le climat relationnel est un peu incertain, mais sans frayeur. Les internes vaquent à leurs occupations. Ils sont en première ligne pour voir les patients, les interroger, préparer la visite.

La journée commence, les consultations sont pleines. Le rythme jour/nuit est normal.

On s’embrasse pour se dire bonjour, on serre les mains des patients, des familles des patients. On va au staff multidisciplinaire, à 15 personnes (externes, internes, chefs, PH des services concernés), ou aux staffs de service, avec souvent un petit déjeuner collectif, partagé. On déjeune même tous ensemble grâce un repas offert par les labos après la mini formation.

Les astreintes sont bien pourvues. Tout le monde est à son poste. La vie continue.
Les chefs de services et les cadres demandent de poser les vacances de Pâques pour faire les plannings, de mettre les RTT pour les ponts de mai… On oublie le COVID.

Les remplaçants arrivent à leur poste. Les internes et les chefs débriefent sur leur dernier remplacement et sur leur projet de week-end avec l’argent qu’ils ont gagné. Bref, la vie continue.

Retour à la maison.

A la télévision, on ne parle que du COVID, mais dans les autres pays.

Ça arrive en France certes mais tranquillement. Personne ne semble affolé. Manifestation d’un intérêt poli, voire curieux.

Les chiffres grossissent, l’hôpital s’affole

Le 25 janvier

Dans certains centres hospitaliers référents, l’alerte commence à être prise très au sérieux. Le « on » bourdonnant des équipes hospitalières commence à s’inquiéter : La menace est sérieuse ? Faut-il vraiment prendre des mesures ? Si oui lesquelles ?

Dans les hôpitaux, tout est cloisonné, “protocolé”, hiérarchisé. L’initiative individuelle est mal perçue et très vite freinée par la lourdeur administrative. Pour chaque matériel, il faut signer un formulaire, maintenant par voie informatique. Pour signer un formulaire, dans un hôpital, il faut ouvrir 2 applications différentes et faire en moyenne 10 clics… Tout prend un temps fou.

Alors, sans aucune directive mise en place, on se lave les mains, on se désinfecte à la solution hydroalcoolique (SHA), mais on continue à s’embrasser car on se soutient !
On serre la main aux patients pour « garder le contact humain ».
On continue les réunions : pour la formation !

Les chefs de service se réunissent. Les directeurs des hôpitaux se réunissent. Les cadres de soins se réunissent. Encore des réunions. Rien de très concret. On réfléchit.

Les services d’urgence commencent à s’inquiéter car il y a plusieurs patients avec toux, fièvre et dyspnée qui circulent librement dans les salles d’attente et dans les couloirs. Ils vont des services des urgences vers le service de radiologie, seuls ou accompagnés de leur famille. Ils se perdent dans des dédales de couloirs ou d’étages. Peut-être serait-il malin de les isoler ? Mais qui en prend la responsabilité ? Ah ! Administration quand tu nous tiens !

Ils sont envoyés pour faire des scanners, des radios, des consultations de pneumologie.

Et si ces patients étaient atteints de COVID-19 ?

L’information arrive : il y a deux cas de patients chinois atteints de COVID-19 dans l’hôpital. Non, 4 ! En fait 2 patients graves en réanimation, et 2 patients non graves. Non attendez, 4 patients en réanimation !
Bref, les informations circulent et les rumeurs avec elles.

Les chiffres grossissent.
Sont-ils 12 COVID+, ou un car entier de chinois ? Ou bien un avion de 350 personnes ?

Les personnels soignants s’indignent du manque de précautions de sécurité. On discute dans les couloirs. La vie du service est en suspens. Tout le monde commence à s’affoler. On nous cache tout, on ne nous dit rien… refrain !

Les internes échangent sur le réseau social commun puis nous confirment qu’il y a 4 patients chinois COVID en réanimation. Les praticiens hospitaliers échangent sur le réseau social commun puis nous confirment qu’il y a 4 patients chinois COVID en réanimation. Le chef de service échange sur le réseau social commun puis nous confirme qu’il y a 4 patients chinois COVID en réanimation.

Enfin, la parole circule !

Branle-bas de combat. Vague de panique.
Bon, toute proportion gardée, vaguelette de panique ! Ils ne sont que 4. On gère …

S’enchaînent alors des réunions d’information sur la prise en charge du patient Covid+, les équipes d’hygiène rencontrent les cadres. Les cadres informent le personnel soignant. Le personnel soignant informe ceux qui reviennent de repos, de garde, de RTT.

Les actualités montrent beaucoup de chefs de service sur les chaînes d’informations télévisées et radiophoniques, en continu : ne sont-ils donc jamais à leur poste de travail, se demande-t-on dans les couloirs ?

On parle de plus en plus de la situation épidémiologique mondiale du Covid-19, de la transmission et la protection du personnel : on commence à avoir peur. Les patients suspects et confirmés sont appelés C…

Des boîtes de masques disparaissent.

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