Sur la base de la dénonciation par le défenseur des droits de discriminations systémiques de contrôles et de violences policières, Médiapart à publié ce 2 JUIN 2020 une en quête de PASCALE PASCARIELLO que nous reproduisons ci-dessous.
Le Défenseur des droits dénonce la discrimination systémique pratiquée par la police
Le Défenseur des droits dénonce des contrôles et des violences policières discriminatoires systémiques dans un quartier du XIIe arrondissement.
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Voilà une décision décisive non seulement pour un collectif de jeunes d’une cité parisienne, mais pour l’ensemble des quartiers populaires qui subissent régulièrement des pratiques policières similaires de harcèlement discriminatoire.
Les « indésirables ». C’est par ce qualificatif que, dans une cité du XIIe arrondissement de Paris, des fonctionnaires de police désignaient dans les registres de mains courantes de jeunes Français issus de l’immigration. Selon le Défenseur des droits Jacques Toubon, les contrôles d’identité répétés et abusifs, ainsi que les violences commises à leur encontre, relevaient non pas d’initiatives individuelles mais d’un système, d’une « discrimination systémique ». Il demande dès lors à la justice « d’interroger le ministre de l’intérieur sur la justification […] de telles violations », sur ce « harcèlement discriminatoire » mis en place.
Pourtant, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner réfutait encore le 24 mai toute pratique policière discriminatoire. Des déclarations aujourd’hui largement remises en question par cette décision du Défenseur des droits.
Comme nous l’avions révélé (à lire ici et là), une douzaine de policiers du Groupe de soutien des quartiers (GSQ), surnommés les « tigres » en référence à l’écusson cousu sur leur tenue, ont, des années durant, contrôlé en permanence et sans motif valable des jeunes âgés de 14 à 23 ans.
Ces contrôles discriminatoires et abusifs s’accompagnaient de propos racistes, d’agressions physiques et de transferts injustifiés au commissariat. En décembre 2015, dix-huit de ces jeunes ont déposé plainte, notamment pour « violences aggravées », « agressions sexuelles aggravées », « séquestrations et arrestations arbitraires » et « discrimination ». Compte tenu du caractère systématique de ce harcèlement, les victimes ont tenu à concentrer en une seule plainte l’ensemble des faits subis entre 2013 et 2015.
Après avoir obtenu, en avril 2018, la condamnation à des peines de prison avec sursis pour violences aggravées de trois policiers (ces derniers ont fait appel), ces mêmes jeunes ont assigné le ministre de l’intérieur et l’agent judiciaire de l’État pour « faute lourde », en l’occurrence des faits de « harcèlement discriminatoire » (à lire ici).
Dans le cadre de cette procédure, le Défenseur des droits a été saisi en qualité de « amicus curiae », « ami de la cour », personne qui n’a aucun lien avec les parties et qui apporte une expertise objective susceptible d’aider les juges.
Dans sa décision rendue le 12 mai, le Défenseur des droits rappelle que, « sur instructions de la hiérarchie, des opérations de patrouille ont été mises en place ayant pour objectif de repérer les regroupements de jeunes et de les “évincer”, c’est-à-dire de leur demander de quitter les lieux lorsque des nuisances de type tapage », par exemple, étaient constatées.
Mais, en pratique, ces « contrôles d’éviction » accompagnés de « palpations, de fouilles et de conduites au commissariat » concernaient toujours les mêmes jeunes d’origine maghrébine et africaine, qualifiés « d’indésirables ». Souvent immotivés, ces contrôles se produisaient « en dehors du cadre légal ».
« Si certains fonctionnaires de police affirmaient que cela faisait suite à des nuisances constatées, rapporte le Défenseur, plusieurs déclaraient également qu’ils pouvaient agir dans un cadre préventif. »
Exemple : pour pouvoir le contrôler et procéder à plusieurs vérifications, dont celle de son portable, des policiers ont prétexté qu’un jeune qui écoutait de la musique avait proféré une insulte à leur passage. In fine, ces pratiques « ne reposent sur aucun fondement légal ni objectif ».
Des téléphones vérifiés, voire parfois détruits, des injures racistes, ainsi que des transports tout aussi abusifs au commissariat. Comme nous l’avions relaté, certains policiers insultent ces mineurs de « sale singe », de « sale Noir », de « chien » ou encore de « babines de pneu ».
La violence est également physique. Certains de ces jeunes reçoivent des coups de matraque, d’autres des coups de poing, et parfois certains sont victimes de palpations dérivant vers des agressions sexuelles. Reconnaître leur caractère répété et organisé, c’est « remettre en cause des pratiques professionnelles qui les génèrent comme étant discriminatoires », en l’occurrence celle de la police. Concernant les conduites au poste, « l’enquête menée par l’IGPN a révélé que ces pratiques n’entraînaient jamais la mise en œuvre de la procédure de vérification d’identité, prévue par l’article 78-3 du code de la procédure pénale ». Ce manquement n’est pas sans conséquence : il empêche de facto tout contrôle a posteriori du bon déroulement des opérations.
Mais le constat du Défenseur des droits ne s’arrête pas là. « Encouragé[es] par les consignes transmises par la hiérarchie », ces pratiques d’éviction quotidiennes ont créé « un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant », c’est-à-dire un « harcèlement discriminatoire ».
Le Défenseur des droits conclut qu’il s’agit là non pas de pratiques isolées, mais d’un système discriminatoire. Il rappelle qu’une discrimination est définie comme systémique « lorsqu’elle relève d’un système, c’est-à-dire d’un ordre établi provenant de pratiques, volontaires ou non », « conscientes et inconscientes, directes et indirectes ».
« Aujourd’hui, les nombreux constats de l’existence de différences de traitement liées à l’origine dans les relations police-population ne sont plus à présenter », déplore-t-il encore, avant de demander au juge « d’interroger le ministre de l’intérieur sur la justification de telles violations encouragées » par la hiérarchie policière.
Le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris n’ont pas souhaité répondre aux questions de Mediapart. Aucune information, non plus, sur les mesures administratives prises à l’encontre des policiers incriminés, ou sur celles pour faire cesser ce système discriminatoire.
Selon Slim Ben Achour, avocat du collectif de jeunes, « une telle décision est fondamentale et historique. C’est la première fois qu’une instance étatique comme le Défenseur des droits reconnaît un système discriminatoire, et cela au sein de la police ». Il regrette que dans le cadre de cette assignation, la seule réponse de l’État se réduise pour l’instant à une « non-réponse, puisqu’il réfute toute discrimination. Il évite d’aborder la notion de système. Il n’en dit rien et finalement ne répond pas ».
« Il est difficile d’engager la responsabilité de l’État dans les pratiques policières, tout comme la responsabilité individuelle des policiers, poursuit Slim Ben Achour. Mais là, cette décision soulève la responsabilité collective et elle peut être déterminante dans le combat que mènent de nombreux jeunes dans les quartiers pour faire cesser le harcèlement discriminatoire, ainsi que les discriminations institutionnelles qu’ils subissent des policiers. »
Mis en ligne le 04 Juin 2020 09:00