ATLANTICO – Tribune de Guylain Chevrier du 04 février 2020

Dans son dernier numéro daté du 4 février, ATLANTICO publie une tribune sur le thème qui lui est cher : la laïcité.

Lutte contre le communautarisme

Philippe Bas et Bruno Retailleau proposent d’en faire davantage sur la laïcité mais est-ce vraiment nécessaire

Une proposition de loi constitutionnelle va être déposée devant le Sénat par la majorité sénatoriale de droite, avec pour motif de lutter contre le communautarisme. Mais plutôt que de multiplier les lois en matière de laïcité, ne devrait-on pas garantir l’application de celles qui existent déjà ?

Une proposition de loi en réaction aux affirmations identitaires et au communautarisme

C’est le président de la commission des Lois du Sénat et sénateur de la manche Philippe Bas (LR) qui est ici à l’initiative. Cosignée par les chefs de file des deux principaux groupes de la majorité sénatoriale de droite, Bruno Retailleau (LR) et Hervé Marseille (centriste), cette proposition de loi doit être déposée lundi [NDLR aujourd’hui 4 février 2020] sur le bureau du Sénat. « Nous voulons énoncer clairement des principes qui ne l’ont pas été pour que, le maire, le directeur d’usine, le principal de collège, le médecin d’hôpital… sachent quoi répondre aux revendications communautaristes qui fragmentent notre société. » ont-ils expliqué.

Le texte comporte deux articles.

Le premier tend à compléter l’article 1er de la Constitution par un nouvel alinéa pour affirmer le principe selon lequel : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». L’esprit de la chose est de fixer une référence accessible à tous pour redonner du sens à la loi commune, souvent écornée par des manifestations religieuses intempestives.

Le second volet de la proposition de révision constitutionnelle entend également imposer le respect du principe de « laïcité » aux partis politiques. Dans l’article 4 de la Constitution, il est dit que les groupements et partis politiques doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. En y ajoutant le principe de « laïcité », la majorité sénatoriale entend interdire le financement public de partis dit « communautaristes » dans le sens où ils feraient prévaloir des règles reposant sur l’appartenance religieuse ou ethnique sur les lois de la République. On pourrait dans ce prolongement, comme le précise le président de la commission des lois, « voter une loi permettant la dissolution d’un parti communautariste en cas de manquement au principe de laïcité ».

Une telle démarche implique, en cas d’initiative parlementaire et donc, d’une proposition de loi, qu’après avoir été votée dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale, qu’elle soit adoptée par référendum. Emmanuel Macron à la Convention citoyenne sur le climat s’étant déclaré favorable à un référendum sur certaines propositions, les promoteurs de cette proposition de loi considèrent que l’on peut bien ajouter « une question en plus ». L’enjeu est de savoir si la proposition avancée est ici adaptée à la réponse qu’elle entend apportée.

Une République laïque attaquée par la confusion, les abandons et les trahisons

Hervé Marseille justifie son soutien à cette proposition de loi par le fait que « la Constitution n’avait pas prévu que notre société soit à ce point morcelée ». C’est vrai, mais pourquoi ? Est-ce dû aux faiblesses de notre constitution ? Non, c’est avant tout le fait d’un laisser faire général. Une situation qui tient non seulement à la pression d’une montée des affirmations identitaires depuis une trentaine d’années, avec des revendications d’adaptation incessantes aux pratiques religieuses d’un islam particulièrement prosélyte, mais aussi à des risques qui pèsent sur quiconque ose entendre faire respecter la loi de mise en procès pour racisme ou « islamophobie », dernier terme dont on connait la fonction d’amalgame de toute critique de l’islam confinée au délit de blasphème. Selon le dernier rapport de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), nous sommes passés sur ce sujet de 2% de cas bloquants il y a moins d’une dizaine d’années à 9,5 % en 2018, avec fréquemment la mise en cause de la légitimité de l’entreprise et l’accusation de racisme.

Dans une Maison d’accueil spécialisée, ce sont des Aide-médico-psychologiques qui refusent d’accompagner un couple d’homosexuels parce que c’est « péché », là c’est une femme médecin qui dans un service public de santé porte un voile ; ailleurs c’est une éducatrice qui refuse de participer à une action de prévention santé-sida-conduites à risques et MST en raison de sa religion, au mépris de la sécurité et de la santé des personnes ; ici c’est tel cours qui est contesté parce qu’on y expose que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme mais le développement du vivant ; encore ailleurs tel petit garçon refuse de donner la main à une petite fille pour motif religieux à l’école primaire ; dans un restaurant du CROUS, service public de l’Université, le personnel porte le voile ; dans les établissements scolaires le voile proscrit par la loi a été remplacé par l’abaya voire même le jilbeb, longue robe à signification religieuse ; dans les piscines le burkini est imposé au mépris des règles d’hygiène…

Mais n’oublions pas que c’est au niveau de l’Etat qu’on a laissé fructifier ce phénomène, après l’apparition des premiers voiles dans l’école publique en juin 1989, par la volonté d’un ministre de l’Education, Lionel Jospin, y réagissant en disant «  La laïcité de l’école qui doit être une école de la tolérance, où on n’affiche pas, de façon spectaculaire ou ostentatoire, les signes de son appartenance religieuse » et d’ajouter que l’école « est faite pour accueillir les enfants et pas pour les exclure », avec un Premier ministre, Michel Rocard, reprenant à son compte cette position consistant à dire « défendre la laïcité » mais refusant de la faire respecter. Il en a été après de 15 ans de flottement jusqu’à la loi du 15 mars 2004, rétablissant la laïcité en interdisant les signes religieux ostensibles à l’école. Mais rappelons aussi que ce sont les élus et spécialement les élus locaux de tous bords qui n’ont cessé de pratiquer le clientélisme politico-religieux, les Verts enlevant le morceau en autorisant comme à Rennes le burkini dans les piscines, tel hier Madame Aubry qui avait ouvert les siennes à Lille à des horaires uniquement réservés à des femmes, en réponse à une demande communautaire… C’est l’UDI (Union des démocrates et indépendants), qui a accueilli tout d’abord les gens qui aujourd’hui se réclament de l’Union des Démocrates Musulmans français (UDMF) pour présenter des candidats aux prochaines municipales et en appeler à la religion pour rassembler des voix, en rompant avec le principe même de citoyenneté qui à travers le choix des représentants désigne ceux qui portent l’intérêt général, la nation, et non celui d’une communauté.

Le Collectif contre l’islamophobie en France, considérée comme proche des Frères musulmans qui se réclame d’être une association défendant les Droits de l’homme, ne défend en réalité que la place d’un islam rigoriste dans notre société, multipliant les procès à des entreprises pour discrimination ou encore à des intellectuels pour « islamophobie », est reconnu d’Intérêt général, et n’a rien de moins qu’un « Statut consultatif spécial auprès du conseil économique et social de l’organisation des Nations Unis. De plus, elle est auditionnée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui a repris à son compte le terme « islamophobie ». Une association communautariste avec laquelle copine la Ligue des droits de l’homme, la Libre pensée, la Ligue de l’enseignement, la FCPE voire la CGT, cette gauche hier laïque qui se perd dans une défense de l’immigré ou de ses descendants considérés comme pauvres et musulmans et donc, cause sacrée, au point de lâcher la République. La France insoumise quant à elle accueille les promoteurs de l’islam politique que sont les Youcef Brakni (Bagnolet-93) et autre Madjid Messaoudène (Saint-Denis-93) ou la député Danièle Obono, soutien d’Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République. Notre Président l’année passée a voulu amender la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 pour faire, par des reculs, une place à un « islam de France », à quoi il a dû renoncer. Mais qu’à cela ne tienne, il explique encore aujourd’hui par la voix de son ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, que « La laïcité, c’est accompagner la pratique d’une religion », en demandant aux préfets de favoriser l’émergence de structures départementales des acteurs du culte musulman, pour mieux encadrer ces derniers, en soufflant sur le communautarisme. On me rapportait récemment que, lors d’une formation aux valeurs de la République et la laïcité inscrite dans le cadre des actions du Commissariat général à l’égalité des territoires, deux formateurs avait posé à leur stagiaires la question de savoir quoi faire lorsqu’une association proposait d’apposer une affiche sur le panneau d’information d’un centre social présentant l’organisation d’une fête où il y a du porc, et de leur répondre qu’il ne faut pas le faire pour ne provoquer personne. Et cela, contre l’avis général des présents… Que dire de plus sur la dérive à laquelle nous assistons ?  Un sondage Ifop-JDD sur la laïcité révélait il y a peu que 78 % des sondés jugeaient la laïcité « en danger » en France, » et 61 % que « l’islam est incompatible avec les valeurs de la société française ». On peut voir à travers ce décalage de la situation avec le sentiment des Français, un espace à occuper vis-à-vis duquel les initiateurs de cette proposition de loi ne se sont pas trompés.

Nouvelle loi ou respect des principes républicains inscrits dans la Constitution ?

Mais par-delà une nouvelle loi qui voudrait faire que tous respectent la règle commune, la question posée est en réalité celle du respect de la loi tout court, telle qu’elle est déjà. Rappelons que la France est définie à l’article Premier de notre Constitution comme étant « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », ce qui est suivi par le principe d’égalité indépendamment des différences d’origine, de race ou de religion, définissant un peuple de citoyens par-delà les différences ainsi que le traitement égal de tous devant la loi. Si le peuple est la source du pouvoir politique et non un dieu, l’Etat ne peut être que laïque et donc séparé des Églises. La laïcité de l’État assure aussi la liberté de conscience, puisque l’Etat n’a pas de religion, de philosophie officielle, il autorise et assure la liberté d’opinion et de croyance de tous. L’État n’est pas pour autant neutre, puisque, si l’on autorise la manifestation des convictions et croyances, c’est dans les limites du respect de l’ordre public qu’il garantit. Voilà déjà un beau programme à exécuter. Faudrait-il pour cela rejeter sans ambiguïté les débordements religieux au lieu de jouer avec, au gré des vicissitudes des pouvoirs, quels qu’ils soient ? On l’a bien vu à travers le débat sur les accompagnatrices voilées des sorties scolaires pour faire que, malgré le fait qu’en assurant l’encadrement collectif des enfants hors les murs de l’école qui en sont toujours les élèves, avec les mêmes principes, dont la laïcité, elles puissent conserver leurs signes religieux, autrement dit laisser libre cours au prosélytisme et au communautarisme.

Ce n’est pas une nouvelle loi qui règlera le problème, mais un changement du tout au tout concernant l’attitude d’une large partie des élites tout d’abord, acquises au multiculturalisme, à un modèle hyper-individualiste et ultra-libéral anglo-saxon, qui loin de l’égalité républicaine promeut l’égalité entre les différences, ce que trop de médias ménagent dans leur discours voire contribuent à installer dans les esprits. Concernant le second volet de la proposition de loi sur les partis dit « communautaristes », il y en a bien qui en font parfois le jeu en se présentant sous des auspices areligieux. Si tout ce qui peut nuire au communautarisme est le bienvenu, là encore il faut surtout faire appliquer déjà la loi, car la République française c’est la séparation du religieux et du politique, et l’on ne devrait donc pas pouvoir accepter que des partis s’opposant à ce point à l’« indivisibilité » du corps souverain des citoyens, puissent ainsi jouer directement sur le clientélisme religieux. Ce changement souhaité par la loi dépend avant tout de la faculté à reconquérir les esprits à la citoyenneté républicaine, par une action cohérente et lisible de l’État rétablissant la laïcité dans les faits. Dans ce prolongement, aussi de tenir compte de l’aspiration à la discrétion des manifestations convictionnelles souhaitée dans toutes les enquêtes d’opinion par les Français, comme une expression du savoir vivre ensemble acquis dans les mentalités par ce principe commun devenu valeur édificatrice.

C’est à la religion de s’adapter, pas à la République.

Ne rien lâcher sur ce principe fondateur et protecteur de la liberté

Notre grand constitutionnaliste Guy Carcassonne, décédé il y a peu, dans son ouvrage « La Constitution », soulignait combien en raison de la place qu’occupe la laïcité dans la tradition républicaine, elle méritait une mention particulière, telle qu’elle apparait parmi les attributs de la République dans la norme suprême. Il existe encore sans doute une marge pour mieux la préciser peut-être, nulle constitution n’étant sans pouvoir être améliorée. Mais avant tout, c’est de l’appliquer dont viendra le salut, sans laisser s’instiller l’idée qu’elle ne serait qu’adaptation à tout lorsqu’elle est au contraire une règle intangible, comme principe fondateur de l’organisation politique de l’État et de la liberté du citoyen.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant.
Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration.
Ses domaines de prédilection sont l’antiquité grecque et l’anthropologie historique. La laïcité constitue un enjeu de société qui le passionne ce qui l’a amené à participer à de nombreuses interventions publiques.
Il enseigne les politiques sociales et l’histoire sociale et initie aux sciences politiques, dans le cadre de la formation des personnels sociaux et de la licence d’AES.
Il collabore à différentes revues de recherche et médias en ligne.

Mis en ligne le 4 févr. 2020