Le pays doit « faire bloc », selon Macron, malgré ses fractures béantes

Libres échanges
de Jean-Pierre Robin dans
LE FIGARO du 09 mars 2020

Le mauvais climat social complique la lutte contre le coronavirus en France.

Les cours du pétrole s’effondrent – ils ont perdu le tiers de leur valeur depuis le début de l’année alors que les prix des masques FFP2 s’envolent.

Compter 7 euros, voire plus, pour un produit pharmaceutique qui normalement en vaut 2. Ce chassé-croisé résume parfaitement la situation économique qui découle de l’épidémie du Covid-19.

D’un côté, les craintes d’un fort ralentissement de l’activité mondiale se répercutent sur les cours de l’énergie fossile la plus utilisée dans le monde, dont on a désormais moins besoin. En même temps se posent les risques de pénurie d’un objet devenu vital. Sa fabrication, comme pour la plupart des industries manufacturières, est désormais handicapée, voire rendue impossible, par le coup de frein général des échanges internationaux ou nationaux.

Et il devient d’autant plus cher que sa demande explose.

En apparence contradictoires, ces réactions à un même phénomène sont à vrai dire classiques. « Le même soleil fait fondre la cire et sèche l’argile », observait au IIème siècle Clément d’Alexandrie, l’un des Pères de l’Église. En termes plus techniques, le drame sanitaire provoque à la fois une récession des échanges et une inflation des prix de nombreux produits manufacturés, même si la chute du pétrole et des matières premières en, limite l’ampleur. Il s’agit d’une double peine caractéristique des pays en guerre et qui se traduit souvent par l’émergence d’un « marché noir » comme la France en a connu sous l’occupation allemande de 1940 à 1944 et après.

En quelques heures, le gouvernement a décidé la semaine dernière de réquisitionner tous les stocks de masques de protection détenus par les fabricants et les distributeurs et d’encadrer le prix des gels hydroalcooliques. Les décrets de réquisition et d’encadrement de prix dignes d’une économie de guerre ont été salués avec enthousiasme par François Ruffin, le député de La France insoumise. « Cela m’évoque qu’en Angleterre, pendant la Seconde Guerre mondiale, des tas de mesures d’encadrement ont été prises qui ont permis de réduire de moitié le taux de pauvreté dans le pays pendant la guerre (sic) », s’est félicité le bouillant parlementaire sur les ondes de FranceInfo. Et il en profite pour demander « plus de régulation de l’économie ».

Pour sa part, Emmanuel Macron a enjoint au pays de « faire bloc », lors d’une visite au Corruss, le Centre opérationnel de régulation et de régulation des urgences sanitaires et sociales du ministère de la Santé. Cet appel au rassemblement est de bon sens. Il ne saurait pourtant faire abstraction du climat de méfiance et de mécontentement chronique depuis la crise des « gilets jaunes » de l’hiver 2018-2019, relayée par la grève de décembre et janvier derniers contre la réforme des retraites, la plus longµe de la Vème République.

D’où les mouvements sporadiques de salariés faisant jouer leur « droit de retrait», prévu par le code du travail, dans les situations « présentant un danger grave et imminent ». À la demande des syndicats le Musée du Louvre a dû fermer du 1er au 4 mars, une réaction unique en Europe, tout comme est sans équivalent le « droit de retrait », fruit de la défiance maladive des rapports  sociaux dans l’Hexagone.

Doctrine officielle

À la décharge du personnel du Louvre, son inquiétude est née de l’ambiguïté de la doctrine officielle interdisant les rassemblements de plus de 5 000 personnes en site fermé. Alors que « le plus grand musée du monde » en accueille entre 40 000 et 80 000 quotidiennement, la direction a fait observer qu’en cette saison il n’y a jamais plus de 5 000 visiteurs au même moment …

Les problèmes vont se compliquer dans la « phase 3 », où il ne s’agira plus de freiner l’expansion du virus, mais de faire face à l’épidémie, de traiter les malades à grande échelle et de mettre en œuvre des mesures jouant sur le civisme plutôt que sur la contrainte. « Différents scénarios sont envisagés, mais il n’est pas question d’arrêter de faire rouler les trains », a averti Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et des Transports. Toute la difficulté en effet consiste à conjuguer confinement sanitaire et activité économique.

La porte est étroite. Comment un gouvernement incapable d’expliquer à froid les tenants et aboutissants de sa réforme de sa retraite « à points » pourrait-il convaincre, et cette fois dans l’urgence, le bien-fondé de ses choix ?

Or, loin d’être purement techniques, les décisions relanceront le débat politique. « L’épidémie du coronavirus est un “game changer” (changement des règles du jeu, NDLR) dans la mondialisation », a déclaré sans ambages Bruno Le Maire au retour du G20 d’Arabie Saoudite. Moyennant quoi, te ministre de l’économie et des Finance ouvre la boîte de Pandore des rancœurs suscitées par la mondialisation. Tout particulièrement les deux sujets les plus brûlants, le changement climatique et les inégalités.

Ainsi la Nasa vient-elle de publier des images satellites montrant une baisse significative de la pollution en Chine « en partie liée » au ralentissement de l’économie. Quant aux inégalités, il ne faut pas sous-estimer l’impact des épidémies sur le fonctionnement des sociétés. Les historiens ont démontré que la peste noire du XIVème siècle (1347-1353) avait provoqué la mort de 30 % à 35 % de la population européenne. Avec pour conséquence un manque durable de main-d’œuvre qui s’est traduit par la fin du servage dans toute l’Europe et en Angleterre par l’instauration des « enclosures », autrement dit la fermeture et la privatisation des terres agricoles. Ce processus très progressif qui s’est achevé au XVIIème siècle est considéré comme le prélude au capitalisme moderne de la première révolution industrielle. Le coronavirus engendrera-t-il de tels bouleversements civilisationnels ?

Mis en ligne le 10 Mars 2020