Pourquoi la révolution de la voiture électrique pourrait prendre beaucoup plus de temps que prévu.
Publié sur ATLANTICO (ATLANTICO GREEN) le 24 novembre 2019
Les véhicules électriques pourraient rester à un prix très élevé aussi longtemps qu’ils resteront dépendants des batteries lithium-ion.
Entretien avec Philippe Charlez (Philippe Charlez Ingénieur des Mines de l’École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l’Institut de Physique du Globe de Paris, il rejoint l’industrie pétrolière en 1982 où il est pendant 15 années expert en Mécanique des Roches.)
Atlantico.fr : Un nouveau rapport du MIT Energy Initiative explique que les véhicules électriques pourraient rester à un prix très élevé aussi longtemps qu’elles resteront dépendantes des batteries lithium-ion. Pourquoi le coût de ces équipements va probablement rester élevé dans les prochaines décennies ?
Qu’est-ce qui pourrait faire décroître significativement ce coût ?
Philippe Charlez : Les deux grands inconvénients inhérents aux voitures électriques sont connus depuis longtemps : de longs temps de charge (plusieurs heures sur des prises de quelques kW) et une faible autonomie (250 km pour des batteries de taille raisonnable). Par contre on nous annonce régulièrement que leur prix, aujourd’hui largement supérieur aux véhicules diesel et essence, devrait fortement baisser au cours des prochaines années. En 2025 au plus tard, les voitures électriques concurrenceraient sans subvention leurs consœurs thermiques.
Pourtant, un récent rapport du Massachusetts Institute of Technology jette un pavé dans la marre.
Selon les auteurs, « tant qu’ils utiliseront la technologie des batteries lithium-ion le prix moyen des [voitures] électriques ne pourra rivaliser avec celui ses concurrentes thermiques ». Le rapport précise qu’il faudra au moins attendre une dizaine d’années pour que la différence de prix s’estompe. Aussi, pour convaincre les utilisateurs d’abandonner l’essence pour l’électricité, les gouvernements se verront dans l’obligation de prolonger voire d’accroitre le processus bonus/malus aujourd’hui mis en place dans la plupart des pays européens.
Selon le MIT, le coût moyen d’une batterie est aujourd’hui de 220€/kWh soit 4 500€ pour une petite citadine de 20 kWh, 11 000 € pour une routière de milieu de gamme (50kWh) et pas loin de 20 000 € pour une Tesla de 85 kWh.
La batterie représentant près du tiers du prix de la voiture, c’est sur ce poste que repose principalement la réduction du coût. Pour atteindre la parité avec une voiture thermique il faudrait que le coût du kWh de batterie descende sous les 100€ ce qui, selon le rapport, est pratiquement impossible.
La raison en est simple : les batteries contiennent des matériaux rares (comme le cobalt) ou semi rares (comme le lithium) dont la demande va augmenter significativement au cours des futures années. Cet accroissement de demande provoque une explosion des cours sur le marché des matières premières. Ainsi, depuis 2010, les cours du cobalt (utilisé pour les électrodes) et du lithium (utilisé comme électrolyte) ont été multipliés par 3.
S’il reste des marges techniques quant à la réduction (voire le remplacement) de l’onéreux cobalt, des baisses plus importantes nécessiteront de remplacer les batteries ion- lithium par d’autres technologies totalement différentes et aujourd’hui encore au state de la recherche. Rien n’est donc acquis d’autant que le coût n’est pas la seule difficulté inhérente aux batteries ion-lithium.
D’une part la distribution géographique du lithium et du cobalt dont les batteries se nourrissent voracement s’avère plus que critique.
Ainsi la moitié des réserves mondiales de cobalt sont situées en République Démocratique du Congo et près de 60% des réserves de lithium en Amérique Latine. Quant à la fabrication des batteries, c’est la chasse gardée de groupes asiatiques : chinois, japonais et sud-coréens se partagent plus des trois quarts du marché mondial. Même si elle desserre le verrou pétrolier de l’Europe, la voiture électrique augmentera sa dépendance vis-à-vis de ses grands concurrents économiques.
Même si les batteries étaient opérationnelles et étaient rentables par rapport à un moteur thermique, est-ce que cela signifierait nécessairement qu’un véhicule électrique serait plus “propre” qu’un véhicule thermique ?
Même rentable, un véhicule électrique n’est pas nécessairement plus propre qu’un véhicule thermique.
D’une part l’extraction des métaux rares et semi rares, leur purification et leur introduction dans les batteries sont des processus énergétivores fortement émetteurs de CO2. Ainsi, selon l’agence suédoise de l’énergie la fabrication d’un kWh de batterie émet en moyenne 200 kgCO2. La batterie d’une Tesla de 85 kWh qui émet 17 tonnes de CO2 lors de sa fabrication ne deviendra donc neutre en carbone vis-à-vis d’une voiture thermique émettant 130gCO2/km qu’au bout de 130000 km.
Un raisonnement qui ne tient que si l’électricité utilisée pour se déplacer est totalement décarbonée.
Or, excepté en France, ce n’est le cas nulle part en Europe. Ainsi, en Allemagne (419gCO2 par kWh électrique produit), la neutralité carbone est obtenue au bout de 250000 km.
Autrement dit la meilleure solution pour l’allemand d’accroitre ses émissions est aujourd’hui de rouler…en voiture électrique !
Mis en ligne le 25 nov. 2019