Libération, journal électronique, publie ce jour une tribune de Yannick Trigance, conseiller régional Ile-de-France, secrétaire national PS Education Enseignement supérieur — 30 mars 2020 à 17:13.

Il nous a paru intéressant de publier cette tribune dans le mesure ou elle fait écho à l’article publié ici-même le 19 mars dernier  [Le confinement accroît-il les inégalités scolaires ?]. Il prend donc toute sa place aujourd’hui alors que se prolonge le confinement dû à la pandémie du SRAS CoV-2 et donc où il est demandé aux parents de plus ou moins de se substituer – et plutôt plus que moins – pour partie, aux enseignants.

L’école à la maison, ça n’est pas l’Ecole !

La «continuité pédagogique» martelée par le ministre de l’Education nationale relève du leurre et génère une pression inquiétante sur les enseignants, les parents et les élèves.

Tribune.

Le confinement généralisé depuis le 16 mars avec la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités touche la scolarité de notre jeunesse. Dans ce contexte forcément angoissant et anxiogène, la fameuse “continuité pédagogique” ou “continuité éducative” martelée par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, relève du leurre et génère dans le même temps une pression inquiétante sur les enseignants, les parents et les élèves. En faisant passer le message selon lequel “la classe continue”, le ministre fait fi des inégalités criantes face au défi d’une «école à la maison».

Inégalités matérielles tout d’abord : toutes les familles ne sont pas équipées en matériel informatique, en connexion Internet, en adresse de messagerie, en logiciels éducatifs, en outil de reproduction et de transmission (imprimantes, scanners) … Les Espaces numériques de travail – les ENT – n’ont pas été prévus pour l’enseignement à distance de masse. Dans certaines familles, les conditions de logement, d’agencement des pièces sont peu propices au travail individuel, à la concentration et au calme nécessaires pour effectuer les exercices, assimiler les cours dispensés par écrit ou en vidéo.

Des parents démunis

Inégalités dans l’accompagnement familial ensuite : le ministre n’a visiblement pas pris conscience du fait que les parents ne peuvent gérer l’accompagnement pédagogique de leurs enfants. En plus de la gestion quotidienne du foyer en confinement permanent, certains parents se sentent totalement démunis, incapables d’expliquer tel ou tel exercice ou notion, d’autres doivent assurer du télétravail : la réalité, c’est que les parents ne sont pas des enseignants !

Cette pression sur les parents génère parfois des situations particulièrement inquiétantes : ainsi dans certains immeubles des parents, soucieux de bien faire, s’épaulent pour aider leurs enfants à faire les devoirs, mettant à mal les règles de protection, de confinement et les gestes barrières ! Et la question de “l’autonomie” vient également peser sur l’aggravation de ces inégalités : l’autonomie d’un élève ne signifie nullement “tout gérer seul tout le temps”. En effet, une journée à l’école est structurée par un certain nombre de repères : des horaires, un emploi du temps, des espaces – salles de classe –, des adultes – enseignants, personnels éducatifs – qui encadrent, accompagnent et conseillent les élèves au quotidien. A la maison, point de tout cela : les situations d’”autogestion” sont particulièrement anxiogènes et déstabilisantes pour les élèves les plus fragiles.

Inégalités entre les enseignants enfin : une fois de plus, nos enseignants font preuve d’un grand professionnalisme. Ils doivent maîtriser dans l’urgence des outils – parfois non officiels – pour lesquels ils n’ont pas toujours été formés pour la plupart d’entre eux. Ils ont dû dans l’urgence réinventer leurs cours en les adaptant à la situation pédagogique inédite, assurant très souvent cette tâche avec leur matériel et leur forfait internet personnels. Bon nombre d’entre eux ont pris conscience que, pour ne pas aggraver les inégalités entre leurs élèves, la priorité éducative consiste d’abord et avant tout à consolider et à conforter ce qui a déjà été appris plutôt que de vouloir à tout prix aborder des notions nouvelles. Et nous n’oublions pas les 20 000 d’entre eux qui assurent l’accueil des enfants des personnels soignants, dans des conditions sanitaires et matérielles parfois précaires, s’exposant ainsi à une contamination virale.

Pour un “lâcher prise”

La question des inégalités vient percuter les propos du ministre pour qui tout devrait continuer comme si les élèves étaient en classe. Il conviendrait plutôt de “lâcher prise” : non, notre jeunesse n’est pas oisive ! Non, les parents ne peuvent se substituer aux enseignants ! Non, le travail à la maison ne peut être le même que celui mené en classe ! Non, l’intégralité des programmes ne pourra être couverte cette année ! Oui, la priorité est à la consolidation et au renforcement de ce qui a déjà été appris plutôt qu’à l’acquisition de notions nouvelles ! Oui, il faudra aussi, pour notre Ecole, tirer les leçons de cette situation pour les temps à venir ! Réaffirmons qu’il y a urgence à abandonner cette position maximaliste consistant à mettre sous pression les familles, les enseignants et les élèves en martelant l’image d’une « école à la maison » et d’une “continuité pédagogique” qui n’existent pas dans la réalité quotidienne du confinement familial.

Yannick Trigance 

Mis en ligne le 31 Mars 2020